Il y a quelques jours je suis tombée sur le ted-talk parfait pour parler du climat. Ou plutôt, pour faire que les personnes adoptent un comportement meilleur pour le climat.
Une conférence de 15 minutes par Marta Zaraska sur pourquoi nous devrions manger moins de viande. Je suis arrivée sur cette vidéo après avoir passé beaucoup de temps sur le site de Renée Lertzman, une psychologue qui a beaucoup travaillé sur comment amener les personnes à changer de comportement pour lutter contre le réchauffement climatique.
Instructional VS behavioral design
En formation, on construit des expériences d’apprentissage qui ont pour but de changer des comportements : c’est l’instructional design. Et ce que l’on sait bien faire, c’est quand le problème vient d’un manque de connaissance (ou un conflit avec une croyance) ou un manque de savoir-faire.
Pourtant, dans les 20 dernières années, le monde de l’instructional design a bien identifié qu’il y avait d’autres raisons pour lesquelles des personnes pouvaient ne pas réaliser tel ou tel comportement. Je trouve que l’excellent livre de Julie Dirksen explique admirablement qu’on doit aller chercher au delà du manque de connaissance pour construire une formation qui permette réellement de passer à l’action.
Les raisons pour lesquelles une personne ne fait pas ce qu’il faut
Pour Julie Dirksen, l’étape la plus importante lorsque l’on prépare une formation, c’est de rechercher les raisons qui font que les personnes ne font pas le comportement attendu. Elle identifie 6 causes :
- Manque de connaissances (ou plutôt des croyances qui ne sont pas adaptées)
- Manque de savoir faire
- Manque de motivation
- Conflit avec une habitude déjà en place
- Problème d’environnement
- Problème de communication
Comment convaincre ?
Mais comment faire une fois que l’on a identifié un problème qui n’est pas dans le champ classique de la formation (connaissances – savoir-faire) ? Quand l’objectif pédagogique n’est pas dans le domaine cognitif mais dans le domaine affectif ?
➡️ C’est en me posant ces questions que j’ai récemment découvert Renée Lertzman, une psychologue, qui a développé une méthode basée sur deux cadres :
- Une théorie du changement avec 5 ou 6 étapes : la transtheoritical theory of change (précontemplation, contemplation, préparation, action, maintenance, relapse/termination)
- Une technique pour accompagner le changement : l’entretien motivationnel qui fait la part belle à la reconnaissance de nos ambivalences.
Je pense que j’en reparlerai ici bientôt 😉.
Et elle donne comme exemple de mise en pratique de sa méthode cette conférence de Marta Zaraska que je vous propose de disséquer maintenant.
Décrypter la conférence de M. Zaraska
1 – Le titre
Le titre est déjà très intéressant : “Why is Mankind Obsessed with Meat?” (pourquoi l’humanité est-elle obsédée par la viande?). Elle ne dit pas : “pourquoi nous devrions manger moins de viande ?”, ou pire : “pourquoi vous devriez arrêter de manger de la viande pour sauver la planète.
Car oui, c’est un fait, nous – l’humanité qui en a les moyens – mangeons trop de viande et c’est mauvais pour notre santé, mais aussi pour la planète. En effet, l’alimentation carnée émet beaucoup plus de gaz à effet de serre qu’une alimentation plus végétale. Mais non, alors que tous les écolos commenceraient par ça (moi la première), pas Marta Zaraska.
👉 Ainsi, M. zaaska a choisi un titre qui attise la curiosité sans culpabiliser ni braquer celles et ceux qui mangent beaucoup de viande ; et sans dire d’ailleurs que l’objectif de la conférence serait qu’ils et elles en mangent moins.
2 – Une introduction qui reconnait que c’est dur pour tout le monde de se passer de viande
L’étude qui montre que même les végé mangent régulièrement de la viande
M. Zaraska commence par demander quels sont les végé / végan dans la salle. Elle présente ensuite les résultats d’une étude qui dit que 40% des végétariens / vegan ont mangé de la viande au cours des 24 dernières heures.
👉 C’est très malin car cela permet :
- De voir la composition de son audience, ici quelques végé/végan,
- De rappeler à quel point c’est dur de se passer de viande puisque même les végé/végan en mangent régulièrement.
3 – Un premier élément à charge contre la viande, mais utilisé pour expliquer à quel point c’est difficile de se passer de viande
Les études montrent que la viande est cancérigène, mais le savoir ne réduit pas notre consommation
Elle apporte alors une première information à charge contre la consommation excessive de viande : l’OMS a classé la viande rouge comme cancérigène. Et pourtant, la médiatisation de cette information avec des titres comme : “viande = cigarettes” a eu pour effet … d’augmenter les ventes de viandes aux USA 😱.
On retrouve le résultat classique en sciences de l’éducation : il ne suffit pas d’informer pour influencer les comportements. C’est plus compliqué que cela.
👉 Mais le message que l’on retient dans la conférence, c’est que nous les humains, aimons tellement la viande, que même quand on sait que c’est mauvais pour nous, on n’arrive pas à s’en passer. Et donc on n’est pas foncièrement une mauvaise personne si on mange encore de la viande.
4 – Les 2 raisons pour lesquelles on adore la viande
Voici en gros le cœur de la conférence. M. Zaraska présente les résultats de ses recherches journalistiques sur pourquoi nous serions aussi accro à la viande.
Nous aimons le goût de la viande
Il y a 2,5 millions d’années, nous aurions eu un avantage évolutif à aimer le goût de la viande cuite. Et donc on adore :
- Le gras, qui indique beaucoup de calories disponibles,
- L’umami (cette saveur que l’on retrouve dans la viande, les champignons ou le fromage), qui indique que la nourriture est une bonne source de protéine,
- Et le goût du “doré-cramé” qui vient des réactions de Maillard lors des cuissons sans eau (typiquement l’odeur du pain grillé ou du barbecue).
La viande est associée au pouvoir
La viande arrive en grande quantité (un zèbre c’est beaucoup de viande), ça ne se conserve pas, et c’est délicieux. Donc ça se partage et donc ça permet de négocier du sexe, de montrer qui est apprécié et qui ne l’est pas. Bref, c’est associé à du POUVOIR.
Et dans nos cultures la viande est devenue un symbole de pouvoir, de richesse et de virilité. Et les services marketing continuent à propager ce mythe en nous faisant croire au mythe de la protéine de viande qui serait indispensable pour être en bonne santé.
Mais c’est oublier que contrairement à nos ancêtres, l’alternative à la viande n’est pas de l’herbe ou des feuilles, mais d’autres sources de protéines comme les légumineuses (soja, lentilles, haricots…). Et donc globalement on mange plutôt beaucoup trop de protéines que pas assez.
👉 Et donc ça n’est pas de votre faute si vous adorez la viande !
5 – Résoudre le paradoxe : la viande était ce qu’il y a de mieux pour nous, et ça n’est plus le cas : il est temps de se ré-adapter
Nos priorités ont changé
L’enjeu n’est plus d’avoir assez d’énergie et de protéine pour survivre. Mais l’enjeu est de vivre vieux et en bonne santé sans avoir de cancer.
Le climat change encore, et nous devons nous adapter
Nous en sommes à 13 minutes de vidéo sur 15, et c’est la première mention du climat. La figure de style est intéressante : il y a 2,5 millions d’années, c’est un changement climatique qui nous a amené à changer notre alimentation. Et aujourd’hui le climat change encore, et il va falloir de nouveau changer d’alimentation.
👉 C’est malin de commencer par aborder les bénéfices individuels à se passer de viande, et seulement à la fin le fait que c’est aussi bon pour le climat.
6 – L’argument climatique – enfin
Arrêter la viande est aussi efficace qu’arrêter de prendre la voiture
C’est quasiment la fin de la conférence, et M. Zaraska développe enfin l’argumentaire pro-climat contre la viande.
👉 Elle insiste sur l’impact de la mesure : ce serait très efficace. Mais elle nuance tout de suite en (re) disant à quel point ça serait difficile. Plus difficile que d’électrifier une voiture.
7 – Pourquoi on va y arriver ?
👉 M. Zaraska l’a répété tout au long de la conférence : arrêter la viande c’est très difficile. MAIS grâce à cette conférence, grâce à tout ce que vous avez appris, vous aller y arriver.
Vous connaissez les goûts que vous aimez dans la viande, et vous savez que vous n’avez plus besoin des protéines de viande
Et donc pour avoir du gras, de l’umami et du goût de grillé, vive l’avocado-toast au fromage !
8 – Le call-to-action : faire un premier essai
Essayez une journée sans viande, pourquoi pas meat-free-monday ?
👉 Elle propose pour terminer à chacun de commencer par un défi à sa mesure, même tout petit, pour qu’à la fin tout le monde ait pu arrêter la viande, même les végétarien·nes !
Conclusion
Cette conférence reprend les grands principes de la communication développés par Renée Lartzman :
1️⃣ Priorité à l’empathie : comprendre le point de vue de l’autre, ne pas le juger, et réfléchir aux arguments qui vont le ou la toucher. Pas ceux qui nous ont touché nous.
2️⃣ Donner à voir l’ambivalence : ce n’est pas parce qu’on mange encore de la viande qu’on n’est pas un peu sensible à sa santé et/ou au climat. Tout n’est pas noir ou blanc. Et il faut d’abord reconnaître toutes les objections qui vont venir, tous les oui mais, avant de pouvoir aborder le changement de comportement.
3️⃣ Apporter des informations pertinentes : ici, d’abord des infos qui concernent ce que les personnes ont à y gagner (une meilleure santé), ensuite des explications qui rassurent : ce n’est pas parce que je suis une mauvaise personne que je mange encore de la viande, des explications qui confirment que le changement de comportement sera efficace et utile, et enfin des explications sur comment y arriver en pratique.
Le combo parfait.
J’espère que ce ted-talk parfait vous inspirera pour construire vos prochaines conférences !