Le numérique peut-il transformer l’enseignement ? J’ai posé la question à Eric Bruillard, chercheur en didactique des sciences et des techniques. À travers deux exemples en mathématiques et en sports, nous allons voir que le numérique permet des situations d’apprentissages inédites et très intéressantes.
Le numérique peut-il transformer la formation ?
En ce moment, je participe au développement de l’Immersive Photonics Lab. Il s’agit d’un laboratoire de photonique en réalité virtuelle à destination du monde académique mais aussi des industriels. Avec les enseignants-chercheurs qui travaillent sur le projet, nous voyons de nombreuses opportunités pédagogiques : montrer l’invisible, apporter une aide contextualisée, mêler des quiz aux expérimentations, etc.
Capture d’écran du film de présentation de l’Immersive Photonics Lab développé par Pyla – ALHhANOV
Que sait-on déjà?
Des innovations numériques dans le monde de la formation, ça n’est absolument pas nouveau, alors que sait-on déjà?
- A-t-on des exemples d’innovations pédagogiques numériques qui marchent vraiment ?
- Et sont-elles vraiment utilisées ?
Sur les conseils de Cécile de Hosson, chercheuse en didactique de la physique à qui je pose beaucoup (trop) de questions, j’ai donc contacté Éric Bruillard. Il est chercheur en sciences de l’éducation spécialiste des usages du numérique. Je lui ai posé (entre autres) la question suivante :
A-t-on des exemples de vraies transformations pédagogiques grâce à un outil numérique ?
Eric Bruillard m’a donné deux exemples d’outils numériques qui permettent de transformer la situation d’enseignement.
Exemple 1 : La géométrie dynamique
Les mathématiques ont connu l’arrivée il y a une trentaine d’années de logiciels de géométrie dynamique comme Cabri-géomètre ou Géogebra. Avec un tel logiciel, les élèves peuvent construire une figure géométrique et ensuite la manipuler. Lorsque les élèves déplacent le sommet d’un triangle avec la souris, les autres éléments se déplacent aussi, mais en respectant les contraintes de construction. Ce logiciel permet ainsi de tester des hypothèses géométriques, de construire des situations qui interrogent les conceptions des élèves. Ces logiciels ont apporté une révolution dans l’enseignement en ouvrant la porte à de nouvelles manières d’enseigner la géométrie. Cette approche bénéficie aujourd’hui du soutien de l’éducation nationale. Mais pour autant, on ne la retrouve pas autant qu’espérée dans les classes.
Exemple 2 : La vidéo en EPS
Depuis une dizaine d’années, il est devenu très facile de filmer un sportif et de visionner dans la foulée son geste. Eric Bruillard m’a ainsi décrit un usage de la vidéo dans le cadre de l’enseignement du tir à l’arc. Une caméra est fixe et peut être déclenchée par l’enseignant·e ou par un·e élève. Juste après le tir, l’élève peut visionner la vidéo. Avec l’enseignant·e, ils peuvent alors analyser ce qui est bien et ce que l’élève doit améliorer. La vidéo est ensuite supprimée. La présence de la caméra reconfigure totalement la séquence d’enseignement !
Est-ce que ces innovations diffusent ?
Ces deux exemples montrent que le numérique peut offrir de réelles opportunités pour enseigner différemment un sujet ou un autre. Ces nouvelles modalités peuvent permettre d’apprendre plus vite, ou bien plus en profondeur, ou bien en donnant davantage de sens. Pour autant, les travaux des chercheurs en éducation montrent la difficulté de la diffusion de ces pratiques. Plusieurs éléments expliquent cette difficulté :
- Il est souvent nécessaire de reconfigurer la séance d’enseignement en profondeur, ce qui n’est pas facile sans formation.
- Les nouvelles approches demandent souvent un peu plus de temps, et les programmes sont souvent très chargés.
- L’accès aux outils numériques n’est pas toujours facile.
Conclusion
Cet entretien me confirme le fait qu’il est possible grâce au numérique de concevoir des situations d’apprentissage innovantes car inédites. Ces situations pourront améliorer l’enseignement parce qu’elles sont plus efficaces pour certaines choses ; ou bien parce qu’elles permettent d’explorer des sujets qui ne sont pas habituellement enseignés. Pour autant, il faut rester modeste, cela ne suffira pas à garantir une large diffusion de l’outil. Nous ne verrons probablement pas une transformation à grande échelle des pratiques!
Références
- Site personnel d’Eric Bruillard : http://www.stef.ens-cachan.fr/version-francaise/membres/eric-bruillard-88692.kjsp
- Des ressources pour utiliser la géométrie dynamique en classe : https://classetice.fr/spip.php?article34
- Un podcast de l’IFÉ sur l’enseignement des mathématiques et l’apport des logiciels de géométrie dynamique : http://ife.ens-lyon.fr/kadekol/ca-manque-pas-dr/episode-11
- Crédits pour l’image de couverture : https://www.geogebra.org/m/YVjTVXSm
- Crédit photo tir à l’arc : Hagerty Ryan, USFWS via Pixnio