Récemment, on m’a dit : « Aude, il faut absolument que tu parles d’IA si tu t’adresses aux ingénieur·es pédagogiques ». On m’a aussi dit que c’était trop tard, l’IA était déjà là, on ne pouvait plus lutter, il fallait faire avec. Pourtant, je suis toujours convaincue que le monde de l’éducation n’a rien à gagner avec les IA génératives qui ne justifierait la gabegie économique et environnementale de son développement.
Les progrès technologiques n’ont jamais révolutionné l’enseignement
Les nouvelles technologies ne révolutionnent jamais l’enseignement
À chaque fois qu’il y a eu des progrès ou des ruptures technologiques, il y a eu des technophiles pour prédire que : « ça y est, ce coup-ci ça allait révolutionner l’enseignement ». Les élèves vont apprendre plus vite, ils vont comprendre mieux, et il y aura besoin de moins de profs.
Sauf que ça ne s’est jamais passé comme ça. Je pourrais remonter dans l’histoire et rédiger tout un topo… Mais Veritasium l’a déjà très très bien fait, et en plus en vidéo !
Mais il y a quand même parfois un intérêt aux nouvelles technologies
Tous les technophiles qui s’émerveillent devant les nouvelles technologies ne sont pas stupides. Il y a effectivement des nouveaux usages qui sont rendus possibles par les technologies. On peut par exemple penser au développement de la géométrie dynamique avec un logiciel comme GéoGebra.
- Lien vers l’article de blog sur un entretien avec Eric Bruillard au sujet des apports des nouvelles technologies dans le monde de la formation, en particulier avec l’exemple de GeoGebra.
Comme Eric Bruillard, je suis convaincue que pour toutes les technologies on peut trouver un petit cas d’usage où c’est intéressant. On peut enseigner :
- Quelque chose de nouveau,
- Plus rapidement quelque chose qu’on enseignait déjà,
- Avec moins d’heures ou moins d’enseignant·es (plus d’efficacité économique).
Une partie de mon travail chez Alpahnov a d’ailleurs été d’identifier les situations où on avait des vrais gains pédagogiques liés à l’utilisation de la réalité virtuelle. Avec les collègues enseignant de physique et formateur en sécurité laser nous avons identifié quelques situations de ce type. C’est ce que l’on raconte dans un article publié dans la revue Optical Engineering.
- Le lien vers l’article : Improving efficiency in optics education with immersive virtual reality
- Le lien vers le résumé sur mon blog recherche : À quoi peut servir la réalité virtuelle pour améliorer les TP d’optique ?
Mais pouvoir faire une chose mieux ne justifie pas des investissements massifs ou de croire que ça va révolutionner l’enseignement. Ça me fait penser aux personnes qui disent qu’on doit soutenir la filière aéronautique parce que c’est très utile pour les dons d’organe. On parle de moins de 1 pour 1000 des vols. Les nouvelles technologies en enseignement, c’est aussi souvent comme ça. C’est utile pour quelques situations, pas du tout pour la majorité des situations.
Et il y a toujours un coût au développement de ces nouvelles technologies.
Les nouvelles technologies sont en général de moins en moins chères pour l’utilisateur final. C’était le cas pour l’ordinateur ou les casques de réalité virtuelle. Mais c’est l’inverse pour l’IA. Ça commence gratuit, et un jour ça sera un service super cher car c’est le modèle économique des start-up licornes.
Même quand l’outil n’est pas si cher, le développement de solutions éducatives efficace est lui toujours cher. En général, le coût est juste économique. On peut (on doit ?) d’ailleurs se demander qui doit payer le développement des ces technologies quand les gains pédagogiques sont marginaux. En effet, les financements publics sont très fréquents car le monde du digital promet de la croissance économique et des économies d’enseignant·es aux pouvoirs publics. Je suis convaincue qu’en général cet argent serait bien mieux dépensé pour recruter et former les enseignant·es.
Mais pour les IA, le coût n’est pas uniquement économique. Il y a d’autres coûts pour la société :
- Empreinte écologique : les IA génératives sont le pire qu’on puisse faire en logiciel en termes d’impacts écologiques. Les impacts en termes de consommation d’énergie et d’eau sont réels et se font déjà sentir.
- Pillage des ressources éducatives déjà existantes : l’entraînement d’une telle IA se fera nécessairement sur les ressources déjà existantes et le droit d’auteur sera bafoué.
- Biais et ingérence d’entreprises privées dans l’éducation : les IA génératives actuelles sont déjà biaisées par les données sur lesquelles elles sont entrainées. Mais il y a en plus des algos correctifs pour que certaines questions ne puissent pas être posées, et pour que les réponses soient orientées d’une certaine manière (on peut imaginer un chatbot d’éco ou d’histoire géo avoir .. certaines opinions).
- Création de nouvelles dépendances à des usages consommateurs de ressources non existant aujourd’hui, et à des géants de la tech. A-t-on vraiment besoin de nouveaux usages du numérique ?
Conclusion
Les IA n’ont aucune intelligence. Elles produisent des choses qui ressemblent à ce qui se fait dans un domaine. Elles introduisent souvent des erreurs. Ce sont de mauvais ouvriers, de mauvais stagiaires. Alors oui on nous vante les progrès fulgurants, le fait que ça ait déjà remplacé des vraies personnes dans de nombreuses entreprises (ce qui est pour moi un argument plutôt contre que pour), mais je crois qu’on devrait suivre le principe de précaution. N’investissons pas d’argent public ni de notre temps tant qu’on n’a pas vu à l’œuvre la licorne promise.
La promesse de l'IA pour l'enseignement est tellement faible, et ses effets néfastes tellement élevés, qu'il n'y a aucune raison d'investir du temps ou de l'argent public dans le développement de cette technologie.