En ce début d’été j’ai fini la lecture de Social : Why our brains are wired to connect de Matthew Lieberman. On pourrait traduire le titre par : Social : Pourquoi nos cerveaux sont câblés pour créer des liens (malheureusement, il n’y a pas encore de version française de ce livre 😔).
Comme cette lecture était vraiment très intéressante 🤩, je vous propose ici de reprendre les grandes idées de l’ouvrage et de les mettre en perspective avec les questions d’éducation et de formation qui me passionnent 😉.
Le message de Matthew Lieberman
Matthew Lieberman est un chercheur en neurosciences qui est convaincu que notre cerveau est câblé pour créer du lien social. Ses expériences montrent que nous possédons 3 grandes fonctions cérébrales dédiées au “social”. À savoir :
- Connection (connexion).
- Mindreading (lire dans les pensées).
- Harmonizing (se fondre dans la société).
Voyons ces 3 grands systèmes ensemble ⬇️.
1 – Connection
Nous avons besoin de lien social
Dans cette première partie, Matthew Lieberman démontre que la douleur sociale et le plaisir social sont aussi forts que la douleur et le plaisir physique. Perdre quelqu’un de cher fait aussi mal dans le cerveau que se casser une jambe : ce sont les mêmes mécanismes neuronaux qui s’activent.
L’une des thèses soutenues par l’auteur est que nous avons un besoin extrêmement fort de créer du lien social, de sentir que l’on fait partie du groupe. Sinon, nous souffrons.
Nous souffrons tout particulièrement lorsque nous assistons (ou subissons) des injustices 😖. Et nous ressentons du plaisir quand nous rendons service à une autre personne ou quand nous recevons de la reconnaissance 🤗.
Et l’un des meilleurs prédicteurs du bonheur n’est pas notre compte en banque (dès lors que nous vivons au dessus du seuil de pauvreté) mais la qualité de notre réseau social.
Ainsi pour Lieberman il faudrait repenser la pyramide de Maslow en mettant le besoin de lien social quasiment comme n°1 dans notre hiérarchie des besoins.
Conséquences pour la formation
On a tendance à voir la formation comme une expérience avant tout cognitive.
Les personnes viennent en formation pour apprendre à faire des choses, ça parait logique non?
👉 Et en même temps, les stagiaires font souvent le retour que la plus grande valeur ajoutée de la formation, ce sont les personnes rencontrées.
À la lecture de cet ouvrage, je me redis que nous avons un devoir de transformer toutes les formations en expériences sociales. Voici quelques pistes d’actions à mettre en œuvre.
Formations en présentiel
- Donner à chaque stagiaire le temps de se présenter au groupe.
- Préserver des pauses cafés de qualité. Il vaut mieux ne pas avoir couvert totalement la formation qu’avoir trop rogné sur le temps de pause.
- Organiser des temps de travail en groupe.
- Organiser des jeux en équipe lorsque cela se prête à l’objectif pédagogique.
Formations à distance
- Prévoir un wébinaire synchrone de rentrée avec une activité pour que les stagiaires se présentent. Si vous avez une très grosse promotion, il vaut mieux organiser plusieurs sessions de wébinaire en divisant en sous groupe d’une vingtaine de stagiaires.
- Utiliser un espace numérique pour réunir les stagiaires. Ce peut être un groupe facebook ou linkedin ou whatsapp ou même un forum sur votre LMS selon la culture de vos stagiaires.
- Favoriser les interactions entre stagiaires avec des travaux collectifs, ou bien de l’évaluation par les pairs.
Bref,
Faites de vos expériences d'apprentissage des expériences sociales !
2 – Mindreading
Nous passons notre temps à imaginer ce que pensent les autres
La deuxième fonction sociale du cerveau, c’est de comprendre ce que pensent les autres.
Dans ce chapitre il y a un lien très clair avec le livre de Daniel Kahneman : système 1, système 2. Dans ce livre, le prix Nobel d’économie Daniel Kahneman explique que l’on peut modéliser le fonctionnement du cerveau avec deux systèmes.
- Le système 1 qui fonctionne par défaut. Ce mode de pensée est rapide et sans effort, mais amène à faire des fautes de logique et de raisonnement. C’est le système de l’intuition.
- Le système 2 qui fonctionne quand on fournit un effort mental. Ce mode de pensée est lent et nous demande un vrai effort. C’est celui qui nous permet d’avoir un raisonnement logique et c’est le mode de pensée que l’on cherche à activer en formation.
Selon Lieberman, le cerveau aurait aussi deux modes de fonctionnement.
- Un mode de fonctionnement par défaut qui active un raisonnement “social” dans lequel on cherche en permanence à comprendre ce que font et pensent les autres.
- Un mode de fonctionnement que l’on active pour résoudre des problème : le mode “cognitif“.
L’un des résultats intéressants de cette partie est que l’on retient beaucoup mieux des informations lorsqu’on prévoit de les transmettre ensuite à une autre personne.
Conséquences pour la formation
Cette partie du livre explique d’une nouvelle manière l’efficacité d’une pédagogique que l’on connait bien : l’enseignement par les pairs. Il est donc extrêmement utile d’encourager les stagiaires à penser aux personnes à qui ils ou elles pourront expliquer ce qui aura été vu en formation.
3 – Harmonizing
Nous construisons notre identité pour nous intégrer dans un groupe social
Nous nous pensons unique et très différent du reste du monde. Alors qu’en réalité, nous construisons notre identité pour nous fondre dans la société.
Et Lieberman montre que nous avons même un système neuronal dont le rôle est de nous aider à ressembler aux personnes de notre groupe social.
On retrouve ici l’idée de norme sociale de la psychologie sociale. Nous pensons que les petites filles aiment le rose parce que dans la société tout le monde pense ça. Ça nous semble naturel mais c’est une construction sociale puisqu’il y a un siècle environ la norme était différente. De la même manière dans le monde professionnel il aurait été impensable qu’un homme travaillant au siège d’une grande entreprise vienne sans cravate il y a à peine quelques dizaines d’années.
L’une des conséquences de l’existence de ce système neuronal et que l’on peut prédire avec une IRM quelle campagne publicitaire sera la plus efficace. C’est celle qui activera le plus le “self-concept”, à savoir son identité et donc celle du groupe auquel j’appartiens. Autrement dit, plus je me sens concernée ou je m’identifie à un message, plus j’y suis perméable.
Conséquences pour la formation
Tous les travaux d’ingénierie pédagogique récents insistent sur la nécessité de prendre en compte toutes les spécificités du public visé pour construire une formation. Au départ il s’agissait de viser juste dans le contenu de la formation et d’apporter aux personnes ce dont elles ont réellement besoin.
Mais les travaux plus récents insistent aussi sur la nécessité de prendre en compte le contexte social des personnes visées : ce qu’elles valorisent et ce qu’elles craignent, les personnes auxquelles elles s’identifient.
J’en tire deux conclusions pour les expériences d’apprentissage que je conçois :
- Il est extrêmement important de comprendre les normes sociales auxquelles sont soumis les stagiaires peuvent facilement s’identifier.
- Inclure des personnes auxquelles les stagiaires peuvent facilement s’identifier dans les situations d’entraînement et dans les exemples qui incluent .
Conclusion
Pour moi l’un des plus grand mythes c’est de penser que nous sommes des individualistes logiques (homo economicus). Et l’une des grosses erreurs que l’on peut faire est de concevoir des expériences pour homo economicus, une personne qui ne fera jamais partie de nos stagiaires 😉.