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19 avril 2025

Décryptage de LA conférence pour faire passer à l’action pour le climat

J’avais envie dans cet article de faire le décryptage d’une conférence vraiment super bien construite et qui m’inspire quand je dois construire une argumentation pour faire passer à l’action. En effet, j’ai découvert il y a quelques années cette conférence de 15 minutes de Marta Zaraska. J’ai adoré parce que j’étais justement en train de transitionner vers le végétarisme, mais surtout, parce que c’était une leçon de communication très intelligente 🤩.

Une argumentation très bien pensée

Allons droit au but, et regardons cette conférence que je continue à trouver incroyable 2 ans après l’avoir découverte.

Le décryptage de cette conférence

1. Le titre

Si j’avais préparé cette conférence, je l’aurais probablement intitulée « Pourquoi nous devrions manger moins de viande ? », ou pire : « Pourquoi vous devriez arrêter de manger de la viande pour sauver la planète ».

Mais Marta Zaraska prend un angle complètement différent : « Why is Mankind Obsessed with Meat? » (Pourquoi l’humanité est-elle obsédée par la viande ?). Ce titre est très intéressant, parce que :

  • il une question pourquoi sur l’humanité : un concept qui nous rassemble toustes, que l’on mange ou pas de la viande, et qui nous transcende.
  • il ne culpabilise personne
  • il ne dit pas aux personnes ce qu’il faudrait faire, sans cacher son agenda avec le mot obsédé qui est connoté négativement.

2 – L’introduction

Marta Zaraska commence par demander s’il y a des végé / végan dans la salle. Elle présente ensuite les résultats d’une étude qui dit que :

40% des végétariens / vegan ont mangé de la viande au cours des 24 dernières heures.

Cette introduction est très maligne car elle lui permet :

  • De voir la composition de son audience, ici quelques végé/végan,
  • De rappeler à quel point c’est dur de se passer de viande puisque même les végé/végan en mangent régulièrement.

3 – Argument n°1 : la viande est mauvaise pour la santé

Maria Zaraska démarre son argumentaire en apportant une première information à charge contre la consommation excessive de viande : l’OMS a classé la viande rouge comme cancérigène. Et pourtant, la médiatisation de cette information avec des titres comme : “viande = cigarettes” a eu pour effet … d’augmenter les ventes de viandes aux USA.

Les études montrent que la viande est cancérigène, mais le savoir ne réduit pas notre consommation, au contraire.

Elle ne dit pas vous, elle dit nous. Nous les humains, nous aimons tellement la viande, que même quand on sait que c’est mauvais pour nous, on n’arrive pas à s’en passer. Marta Zaraska met en lumière le fait que nous avons toustes des ambivalences. Et donc on n’est pas une mauvaise personne si on mange encore de la viande, on est juste humain.

4 – Argument n°2 : nous avons évolué pour aimer la viande

Voici le cœur de la conférence. Marta Zaraska présente les résultats de ses recherches journalistiques sur pourquoi nous serions aussi accro à la viande.

Nous aimons le goût de la viande

Il y a 2,5 millions d’années, nous aurions eu un avantage évolutif à aimer le goût de la viande cuite. Et donc on adore :

  • Le gras, qui indique beaucoup de calories disponibles,
  • L’umami (cette saveur que l’on retrouve dans la viande, les champignons ou le fromage), qui indique que la nourriture est une bonne source de protéine,
  • Et le goût du “doré-cramé” qui vient des réactions de Maillard lors des cuissons sans eau (typiquement l’odeur du pain grillé ou du barbecue).
La viande est associée au pouvoir

La viande arrive en grande quantité (un zèbre c’est beaucoup de viande), ça ne se conserve pas, et c’est délicieux. Donc ça se partage et donc ça permet de négocier du sexe, de montrer qui est apprécié et qui ne l’est pas. Bref, c’est associé à du POUVOIR.

Dans nos cultures la viande est devenue un symbole de pouvoir, de richesse et de virilité. Et les services marketing continuent à propager ce mythe en nous faisant croire au mythe de la protéine de viande qui serait indispensable pour être en bonne santé.

Mais c’est oublier que contrairement à nos ancêtres, l’alternative à la viande n’est pas de l’herbe ou des feuilles, mais d’autres sources de protéines comme les légumineuses (soja, lentilles, haricots…). Et que globalement aujourd’hui on mange plutôt beaucoup trop de protéines que pas assez.

Et donc ça n'est pas de votre faute si vous adorez la viande !

C’est parce que c’est bon au goût et que la publicité fait tout pour qu’on en consomme toujours plus.

5 – Résoudre le paradoxe : la viande était ce qu’il y a de mieux pour nous, et ça n’est plus le cas : il est temps de se ré-adapter

Nos priorités ont changé

L’enjeu n’est plus d’avoir assez d’énergie et de protéine pour survivre. Mais l’enjeu est de vivre vieux et en bonne santé sans avoir de cancer.

Le climat change encore, et nous devons nous adapter

Nous en sommes à 13 minutes de vidéo sur 15, et c’est la première mention du climat. La figure de style est intéressante : il y a 2,5 millions d’années, c’est un changement climatique qui nous a amené à changer notre alimentation. Et aujourd’hui le climat change encore, et il va falloir de nouveau changer d’alimentation. Malin.

C’est malin de commencer par aborder les bénéfices individuels à se passer de viande, et seulement à la fin le fait que c’est aussi bon pour le climat.

6 – L’argument climatique – enfin

Arrêter la viande est aussi efficace qu'arrêter de prendre la voiture

C’est quasiment la fin de la conférence, et M. Zaraska développe enfin l’argumentaire pro-climat contre la viande. Elle insiste sur l’impact de la mesure : ce serait très efficace. Mais elle nuance tout de suite en (re) disant à quel point ça serait difficile. Plus difficile que d’électrifier une voiture.

7 – Pourquoi on va y arriver ?

Marta Zaraska l’a répété tout au long de la conférence : arrêter la viande c’est très difficile. Mais grâce à cette conférence*, grâce à tout ce que vous avez appris, vous aller y arriver. *

Vous connaissez les goûts que vous aimez dans la viande, et vous savez que vous n'avez plus besoin des protéines de viande

Et donc pour avoir du gras, de l’umami et du goût de grillé, vive l’avocado-toast au fromage !

8 – Le call-to-action : faire un premier essai

Essayez une journée sans viande, pourquoi pas meat-free-monday ?

Elle propose pour terminer à chacun de commencer par un défi à sa mesure, même tout petit, pour qu’à la fin tout le monde ait pu arrêter la viande, même les végétarien·nes !

Conclusion

Cette conférence reprend les grands principes de la communication développés par Renée Lartzman :

1️⃣ Priorité à l’empathie : comprendre le point de vue de l’autre, ne pas le juger, et réfléchir aux arguments qui vont le ou la toucher. Pas ceux qui nous ont touché nous.

2️⃣ Donner à voir l’ambivalence : ce n’est pas parce qu’on mange encore de la viande qu’on n’est pas un peu sensible à sa santé et/ou au climat. Tout n’est pas noir ou blanc. Et il faut d’abord reconnaître toutes les objections qui vont venir, tous les oui mais, avant de pouvoir aborder le changement de comportement.

3️⃣ Apporter des informations pertinentes : ici, d’abord des infos qui concernent ce que les personnes ont à y gagner (une meilleure santé), ensuite des explications qui rassurent : ce n’est pas parce que je suis une mauvaise personne que je mange encore de la viande, des explications qui confirment que le changement de comportement sera efficace et utile, et enfin des explications sur comment y arriver en pratique.

Le combo parfait.

Faut-il vraiment argumenter ?

Je trouve cette conférence parfaite. Pourtant, je pense que chercher à convaincre en argumentant dans nos relations du quotidien n’est pas efficace.

Je ne suis pas devenue végétarienne parce qu’un copain relou m’a pris la tête sur le mal que je faisais à la planète ou aux bébés cochons en mangeant de la viande. Je pense, comme le montrent les études de psychologie sociales, que les normes sociales ont beaucoup plus d’impact que les argumentations. C’est un peu ce qui est expliqué dans le livre Social : Why our brains are wired to connect dont j’ai fait un résumé sur ce blog.

Mais je crois aussi que lorsqu’on a la légitimité de parler devant une audience, de faire une conférence, de présenter ses idées dans un débat politique, alors on doit s’inspirer de cette conférence. Je pense que Marta Zaraska nous montre comment faire un argumentaire qui a le plus de chance d’embarquer celles et ceux qui sont a priori opposés à notre cause. Alors que sinon, notre tendance naturelle est de faire de super bons discours pour celles et ceux qui pensent déjà comme nous…