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3 juin 2025

Définir le problème à résoudre par la formation

Souvent, les client·es des ingénieur·es pédagogiques ont en tête une formation précise qu’ils veulent réaliser. Ils recherchent par exemple « une formation sur l’écoute active », ou bien ils veulent créer une formation sur leur sujet d’expertise. Quand on répond directement à cette demande par la production d’une formation, on a de grandes chances de créer une formation qui plait aux apprenant·es mais qui ne change rien 😔.

Mon rôle en tant que consultante est d’aider les client·es à problématiser la formation. On va travailler ensemble pour définir le problème à résoudre, et identifier même des indicateurs de performance. Nous construirons ensuite une formation qui changera vraiment quelque chose 💪.

L’analyse du besoin en ingénierie de formation

L’ingénierie de formation couvre tout le travail autour de la réalisation d’une formation depuis l’analyse du besoin jusqu’à l’évaluation de la formation.

Frise avec comme titre Ingénierie de formation et avec 4 cases Analyse du besoin Ingénierie pédagogique Formation Evaluation de la formation

Analyse du besoin

La première phase de l’ingénierie de formation est l’analyse du besoin. Il s’agit de :

  1. Définir le problème à résoudre et ce qui va changer quand ce problème sera résolu. Cela permet d’expliciter la finalité de la formation.
  2. Caractériser le comportement qui va contribuer à résoudre le problème, et donc définir l’objectif général de la formation.
  3. Identifier les freins qui font que ce comportement n’est pas réalisé aujourd’hui, et définir les objectifs intermédiaires de la formation.

Infographie de l'analyse du besoin avec 3 étapes : 1. La définition du problème à résoudre 2. Le comportement cible 3. L'identification des obstacles à ce comportement cible

Dans cet article je détaille la première phase de cette analyse du besoin : définir le problème à résoudre. Il s’agit d’une étape clé qui fait toute la différence entre une formation qui ne sert à rien et une formation qui sera utile. 

Définir le problème à résoudre en formation professionnelle

La formation qui ne change rien

On a toustes suivi des formations qui ne changent rien dans nos pratiques. Je me rappelle par exemple avoir suivi une formation sur le COVID pendant la pandémie. La formation était un elearning bien fait. J’ai appris des trucs, mais je n’ai rien changé à ma manière de faire après la formation. Je ne sais pas trop ce que mon employeur de l’époque attendait de cette formation. Peut-être juste de pouvoir dire en conseil d’administration : on a fait quelque chose sur le COVID.

Si vous êtes ingénieur·e pédagogique, ou si vous êtes commanditaire d’une formation, ça n’est pas satisfaisant. On commande ou on construit des formations pour avoir un impact sur les personnes qui les suivent. Pour changer au moins un petit peu leurs comportements.

Un exemple pour comprendre

La responsable d’une grosse association vient vous voir car elle souhaite former l’ensemble des cadres de l’association aux violences sexuelles et sexistes (VSS). Elle vous demande de prévoir une formation de 2 heures pour couvrir le cadre législatif des VSS. 

Vous avez deux options :

  1. Vous lancer dans la préparation de cette formation, ou bien dans l’identification d’un prestataire qui saura bien répondre à la commande.
  2. Ralentir le projet, et questionner la responsable de l’association pour comprendre le besoin qui se cache derrière sa demande.

Répondre directement à la demande

Tina Teachalot choisit l’option 1. Elle fait appel à un cabinet de formation qui a l’habitude de faire ce type de formation en insistant sur les risques encourus en fonction des différents mauvais comportements. Avec une bonne ingénierie pédagogique, les participant·es seront capable de reconnaître un cas concret de harcèlement sexiste au travail. Elle le mesurera grâce au QCM de fin de formation. Mais que vont faire les participant·es ensuite ? Qu’est-ce qui va changer ? Et comment va-t-on savoir que la formation a été utile ?

Définir le besoin de formation

Anna Action von Mapp choisit la deuxième option. Elle questionne la responsable de l’association pour mieux comprendre son besoin.

Exemple de questions pour définir le problème à résoudre : 
→ Qu'est-ce qui vous a amenée à demander cette formation ? 
→ Qu'est-ce qui devrait changer après que les personnes ont suivi la formation ?

La responsable lui explique qu’il y a eu plusieurs cas de harcèlement sexiste qui ont conduit des bénévoles à quitter l’association. Un homme a déjà été exclu de l’association, mais elle craint que d’autres cas se produisent et continuent à faire partir des femmes bénévoles. Anna continue de questionner pour comprendre comment elle peut se rendre compte de si les choses s’améliorent ou s’empirent. Elle lui répond qu’elle pourrait compter le nombre de départ de femmes bénévoles chaque années, mais il y a d’autres raisons au turn-over. Anna lui propose de construire avec son équipe une enquête pour mesurer le niveau de sexisme au sein de l’association et mieux définir le problème qu’elle souhaite régler.

  • Problème à résoudre : Réduire le nombre et l’intensité des violences sexistes et sexuelles dans l’entreprise et réduire le mal-être au travail lié à ces violences.
  • Finalité de la formation : Améliorer l’ambiance dans l’association en la rendant plus inclusive vis-à-vis des femmes.

Dans cette deuxième approche, la formation est au service de la transformation des organisations.

La suite de l’analyse du besoin

La suite de l’analyse du besoin va permettre d’identifier les comportements que les personnes devront être capable de faire à la fin de la formation. Il s’agira peut-être de :

  • Réagir quand on est témoin d’une blague sexiste lors d’une action militante,
  • D’organiser la prise de parole en réunion pour équilibrer les temps de parole,
  • D’utiliser une charte pour modérer les échanges dans les groupes de messagerie, etc.

Cette partie sera construite en interrogeant des personnes qui sont déjà capables de produire ces comportements.

La dernière partie de l’analyse du besoin permettra d’identifier pourquoi ces comportements ne sont pas déjà réalisés par les personnes qui suivent la formation. Est-ce un problème de motivation ou de savoir-faire ? Ou d’environnement ?

Définir le problème à résoudre pour des formations non professionnalisantes

Les formateurs et formatrices comprennent bien la démarche de problématisation dans le cas de la formation professionnelle. C’est souvent plus difficile lorsqu’il s’agit de travailler sur une formation dans le monde académique.

Dans ce cadre là, je travaille un peu différemment. Je vais d’abord chercher à identifier des objectifs pédagogiques basés sur des erreurs fréquentes des apprenant·es. Et ensuite seulement je vais revenir sur la finalité de la formation en questionnant pourquoi c’est grave de faire ces erreurs.

Un exemple

Les universités doivent mettre en place une formation sur les transitions. Une université décide dans ce cadre de mettre en place une formation sur les enjeux1 de la mobilité.

Ici, encore deux approches possibles.

  1. Répondre à la demande de mon interlocuteur en lui demandant les sujets qu’il souhaite aborder dans la formation.
  2. Questionner l’interlocuteur sur la finalité de la formation. Que veut-on changer dans le monde grâce à cette formation ?

L’approche classique : partir des sujets à aborder.

Dans l’approche classique, on part des sujets à aborder. L’enseignant·e ou l’expert·e métier fournit un diaporama et des ressources ainsi qu’une liste de sujets que vous, ingénieur·e pédagogique, devrez organiser. Dans le meilleur des cas, vous réalisez une formation intéressante dans laquelle les étudiant·es apprennent des choses qui les intéressent un peu. Mais qu’est-ce qu’ils vont être capable de faire qu’ils et elles ne faisaient pas avant ? À quoi cette formation va-t-elle leur servir ?

L’approche problématisation : partir des erreurs

J’ai déjà parlé dans ce blog des erreurs des apprenantes dans cet article : Parlez-moi d’erreurs 💙 . Dans le cadre de la formation académique, j’aborde souvent la phase de problématisation de la formation par les erreurs que font les personnes qui n’ont pas suivi la formation.

Exemples de questions pour comprendre les objectifs pédagogiques de la formation : 
→ Si je vous donnais une baguette magique pour que les étudiant·es fassent UNE chose différemment après votre formation, ce serait quoi ?
→ Quand vous entendez des étudiant·es parler de VOTRE_SUJET, quel est LE truc qui vous énerve le plus? 
→ Imaginez, j'ai un étudiant·e qui a suivi votre cours et qui vient en stage chez moi. Quelle serait l'erreur qu'il pourrait faire dont vous auriez honte ?

Remonter à la problématisation

Une fois que l’on a identifié les erreurs fréquentes, je questionne l’expert·e sur les raisons pour lesquelles ces erreurs sont problématiques.

Exemples de questions pour remonter au problème à résoudre et à la finalité de la formation : 
→ Pourquoi c'est grave de faire cette erreur ? 
→ Quelles sont les conséquences de ne pas savoir faire ça ? Ou de ne pas avoir compris ça ?

En posant ces questions à l’expert de la mobilité, et nous avons fini par réussir à problématiser la formation.

  • Problème à résoudre : Les étudiant·es sont des citoyens qui font de mauvais choix lorsqu’ils et elles veulent agir pour réduire leur bilan carbone.
  • Finalité de la formation : Prendre des décisions éclairées au quotidien pour réduire son empreinte carbone.

 

Un livre ressource pour bien comprendre et réaliser la problématisation

Bannière avec la couverture du livre Map It de Cathy Moore et une citation sur fond bleu qui dit : nous allons transformer un vague "ils devraient savoir ça" en un projet qui résout un problème bien défini de performance.

Cathy Moore a développé une méthode étape par étape pour construire des projets de formation qui soient vraiment impactant. Et la première étape de sa méthode, c’est de problématiser la formation, c’est-à-dire d’identifier le problème à résoudre. Dans son livre, C. Moore donne deux exemples très concrets de discussion entre une ingénieure pédagogique et un « donneur d’ordre » qui veut transformer un diaporama en une formation en ligne.

Tina Teachalot – Mon job est de créer un cours

Dans le premier cas, l’ingénieure pédagogique – Tina Teachalot- n’est pas formée à l’action mapping, et elle construit une formation sur les dangers des objets coupants. Les avis sur la formation sont très positifs, mais personne ne sait si les apprenant·es ont changé leur manière de manipuler les objets coupants à l’hôpital. Et le taux d’accidents reste le même.

Anna Action von Mapp – Mon job est de résoudre un problème

Dans le second cas, l’ingénieure pédagogique – Anna Action von Mapp – est formée à l’action mapping. Elle identifie que le vrai problème, c’est que les personnels se blessent avec des objets coupant, et que c’est ça le problème à résoudre. Anna investigue les ressources disponibles, et questionne les personnels. Elle découvre que les poubelles spéciales pour les aiguilles  sont souvent déplacées et donc non disponibles quand les infirmières en ont besoin. Le gérant de l’hôpital résout ce problème d’environnement, et il n’y a finalement pas besoin d’une formation sur les objets coupants.

Le livre est très orienté formation pour les entreprises. Pour autant, vous pourrez appliquer cette démarche dans n’importe quel domaine appliqué. Ainsi, ça vous sera utile si vous formez :

  • des salariés,
  • ou des profs,
  • ou des militant·es,
  • ou même des parents ou des propriétaires d’animaux !

Conclusion : l’analyse du besoin

Ce qu’a fait Anne Action von Mapp, ou ce que j’ai fait sur les enjeux de mobilité durable, c’est une analyse du besoin. Cette analyse permet de clarifier :

  • La finalité du projet (quel problème on va résoudre)
  • Les indicateurs de suivi du projet (comment on va voir que le problème se résout)

On va ensuite identifier :

  • Ce que les personnes devraient faire, et qu’elles ne font pas déjà. Cette phase inclut parfois une analyse didactique du travail pour comprendre quelles sont les actions qui permettent de résoudre le problème.
  • Les obstacles qui expliquent pourquoi les personnes ne font pas déjà le comportement souhaité,
  • Les moyens qu’on peut mettre en œuvre pour aider les personnes à réaliser le comportement souhaité. C’est dans cette dernière étape qu’on trouvera — peut-être ! — de la formation.

Notes

1 D’une manière générale, je me méfie beaucoup de toutes les formations qui portent sur les enjeux. Souvent ce sont plutôt des actions de sensibilisation que des formations.

 

N’hésitez pas à me contacter si vous avez besoin d’aide pour construire une formation efficace, ou si vous voulez en apprendre plus sur l’ingénierie de formation 😉 !